louella; girl, you'll be a woman soon (terminée !)

J'me sens conne tout à coup. Je ne sais pas si tenir un journal est une excellente idée finalement. Imaginez qu'on retrouve ce ramassis d'inepties dans un siècle : ils se foutront bien de ma gueule les habitants du futur. Bon heureusement, je ne compte pas détailler ici mes séances d'épilation à la cire douloureuses ou bien encore ma passion immodérée pour le steak tartare. Non. Parce que d'un autre côté, je n'ai aucune envie de disparaitre sans laisser de trace. Pas que ma vie soit foncièrement intéressante mais ... Je sais, contradictoire la fille. C'est précisément mon trait de caractère principal et ça fait de moi un individu parfaitement imbuvable. Mais je m'en contrefiche, j'ai beau être une gosse de riche, un rien me suffit. Tout comme je serais toujours insatisfaite. Contradictoire je vous dis.
Bon vu qu'on en est là, autant que je vous parle de moi. Je m'appelle Louella. Je n'ai jamais compris comment mes parents avaient pu trouver un nom pareil avec leur esprit si étroit. Je les voyaient plutôt opter pour Mary ou Ashley. Il faut croire qu'ils ont eu une illumination soudaine. J'y suis attachée à ce prénom et encore plus depuis qu'une certaine personne me surnomme Lou. De sa bouche, c'est carrément divin. Mais je m'égare ... Mes parents, comme je l'ai déjà lourdement sous-entendu sont des gens étrangement fermés, bassement matérialistes et incroyablement ennuyeux. Tout ce qui les intéressent ce sont leurs actions qui rapportent, la quatrième maison de vacances en France et le yacht qu'ils ont récemment acquis pour en foutre pleins la vue aux Mitchells (d'autres gens exactement comme eux). Alors forcément je n'ai jamais manqué de rien. Et je ne peux même pas vous servir le cliché de la pauvre gosse de riche en manque d'amour. Bien au contraire, ils étaient présents, ma mère surtout ... trop même. Elle me surprotégeait littéralement. Peut-être qu'elle craignait que les garçons soulèvent ma jupe plissée à l'école ou qu'on me rackette mon gouter à la récré. Mes petits "camarades" étant tout aussi pourris gâtés, ils n'en avaient rien à faire de mon gouter. Et ma jupe j'étais tout à fait capable de la soulever toute seule. Ouais parce qu'ils m'avaient emprisonnée dans une jolie petite cage dorée, autrement dit l'école privée des bambins futurs pdg et avocats de renom. Oh ce n'était pas l'enfer, loin de là mais ce n'était pas le paradis non plus. De toutes façons me serais-je plue davantage dans une école moins snob ? Probablement pas, il n'y ai nul endroit où je me plaise vraiment. Je suis chiante comme fille.

En plus je raconte n'importe quoi. En y repensant, je ne lui serai jamais assez reconnaissante à cette école de riches. Elle m'a permit de faire la plus jolie rencontre de mon existence. Je sais, je n'ai que vingt ans mais je sais que personne ne surpassera jamais Zechariah. Dire qu'il est mon meilleur ami serait affreusement réducteur. Je n'ai jamais su mettre de mot sur le lien qui nous unit. Je suis même convaincue qu'on a inventé un nouveau type de relation, plus fort que l'amitié, l'amour et toutes ces conneries. Faudra qu'on lui trouve un nom un de ces quatre. Reste que la première fois que j'ai croisé son regard, il avait huit ans, il lisait les fleurs du mal et il avait des cheveux blonds comme les blés. Je sais l'expression est un peu conne mais c'est exactement aux champs dorés interminables que j'ai pensé en voyant ses jolies boucles. Et puis il a cité quelques vers, je n'ai rien compris mais j'ai trouvé ça beau. Ça a commencé ainsi. Je ne crois pas à ce putain de destin mais je me dis quand même que Zechariah et moi devions nous rencontrer. Nous sommes si semblables dans notre exigence, dans notre recherche perpétuelle de la beauté et dans notre ambiguïté. On a grandi ensembles, muri ensembles, vécu nos première expériences ensembles ... Ouais je sais ce que vous vous dites : on arrive aux infos croustillantes. Et nous avons effectivement couché ensembles. Une seule et unique fois, il y a de cela deux ans. Je ne sais pas vraiment ce qui nous a pris ... ou plutôt je préfère ne pas le savoir. Je crois être encore loin du compte si j'affirme que ce fut la plus belle nuit de ma vie mais tant pis, c'est ce que j'ai de mieux. Seulement on ne recommencera pas, il ne faut pas. Nous sommes tellement identiques qu'une telle relation serait carrément autodestructrice. Je nous verrais parfaitement trépasser à la fin, à la Shakespeare. Et je refuse qu'il souffre. Ce qui peut m'arriver j'm'en fous, mais lui il est tout ce que j'ai de plus précieux. Je ne voudrais pas le perdre pour satisfaire mon égoïsme. Même si je crève de jalousie et de douleur quand je le vois dans les bras de ses catins. C'est comme ça que j'appelle les conquêtes de Zechariah. Je sais c'est injuste mais je n'ai jamais prétendu à la perfection. Bien au contraire, je suis une gamine capricieuse et stupide. De toutes façons, je n'ai pas mon mot à dire, je ne me prive pas non plus de mon côté. Ils ne représentent rien mais le temps passe plus vite en leur compagnie ... enfin je crois.

Aujourd'hui je ne suis rien de plus qu'une gamine de vingt ans entretenue par ses parents. Je n'ai pas envie de travailler et les études m'ennuient profondément. Ce que j'aime c'est poser ma tête sur l'épaule de Zechariah et l'écouter déclamer de l'Oscar Wilde, dandy absolu que nous vénérons tous les deux. J'aime rester allongée des heures sur le canapé à fanfreluches du salon. J'aime errer sans but précis dans Hyde Park. J'aime mordre à pleine dents dans des macarons multicolores en écoutant les discours utopistes des hippies. Je dois reconnaitre que ces derniers m'amusent beaucoup même si leur petite guerre contre le camp adverse ne mène strictement à rien. "Make love not war." Tu parles. Je suis une petite aristocrate issu d'un milieu guindé et j'ai l'impression que j'applique le principe bien mieux qu'eux. Mais je ne juge pas. Je suis beaucoup moins sévère que Zechariah pour ces choses-là. J'admets parfois la bêtise, même si je ne la comprend pas. Lui peut se montrer cruel par moment, mais j'aime aussi sa part d'ombre. Comment l'une de ses facettes pourrait-elle me déplaire de toutes façons ?

Comme vous l'aurez probablement deviné, je ne suis pas le genre de fille à se soucier du lendemain. Je n'ai aucun plan de vie sous le coude. Vous m'imaginez sérieusement habiter un joli petit pavillon de banlieue, mariée à un riche promoteur, avec deux enfants à charge ? Rien que d'y penser j'ai une furieuse envie de vomir. Non, je passerai surement ma vie à immortaliser Londres dans mon appareil photo ou bien à souffrir en pensant à mes actes manqués. Un truc du genre. Je ne suis pas née pour être heureuse et tranquille. Je suis tourmentée par nature, peu aimable et en plus je ne cède pas ma place aux vieilles dames dans les transports en commun. Je suis un petit monstre et ça me plait.